En 1994, le Rwanda est le théâtre d’un massacre sans précédent dans son histoire. L’Organisation des Nations Unies évalue à 800 000 le nombre de Rwandais tués, en majorité des Tutsis, entre les mois d’avril et juillet. 20 ans après, le génocide est omniprésent. Il est dans les mémoires, il est sur les visages et sur les corps.
Par Gauthier Kulula
Même si les plaies semblent s’être refermées, le souvenir reste douloureux. À l’image d’Alphonsine Mukamfizi dont les traits seront marqués à vie. Certains arrivent à pardonner et à revivre ensemble. C’est le cas de Mukarurinda Alise qui a est allée jusqu’à se marier avec l’homme qui lui a coupé la main !
Ce génocide suscite beaucoup d’interrogations. Quatre points pour comprendre ce fait d’histoire.
1. L’avènement d’une République
Le Rwanda est un pays d’Afrique centrale, colonisé par l’Allemagne en 1894. En 1916, durant la Première Guerre mondiale, les Belges délogent les Allemands et vont occuper le pays à leur tour. Le 1er juillet 1962, le Rwanda obtient son indépendance.
2. HUTUS, TUTSIS…Qu’est-ce que c’est ?
Avant la colonisation, les clans du Rwanda se composent de Tutsis, de Hutus et de Twas. Certains de ces groupes sont dominés par des Tutsis et d’autres par des Hutus. Ces trois clans (qui ne sont pas des ethnies) parlent le kinyarwanda et pratiquent les mêmes rituels. Ils ne se marient, pourtant, qu’entre gens de la même « caste ».
Lorsque les colonisateurs sont arrivés, ils ont trouvé des Tutsis éleveurs, des Hutus agriculteurs et des Twas artisans. Il était tout à fait possible de changer de catégorie sociale dans cette organisation très proche du système féodal.
Au moment de la colonisation, les Allemands dans un premier temps, les Belges par la suite, vont classer les populations en fonction de leurs activités et de leur apparence physique ; ils définissent que les Tutsis sont supérieurs et aptes à dominer les Hutus. Et bien entendu, cela laissera des traces…
3. Le Contexte du massacre
En juillet 1962, Le Rwanda obtient son indépendance. Trois années auparavant, suite à la mort mystérieuse de Mutara Rudahigwa, Kigeli V. Ndahindurwa est placé au pouvoir. Les Hutus veulent être intégrés au nouveau gouvernement, ils manifestent leur désaccord avec leur exclusion. Très vite, la tension monte lorsque la rumeur de l’assassinat de l’un des leurs se propage. Les Tutsis minoritaires sont massacrés et la plupart d’entre eux vont s’exiler dans des pays limitrophes.
Au moment de l’indépendance, La première République Hutu est mise en place. Grégoire Kayibanda en est le président. Il adopte une politique de double répression à l’encontre des Tutsis. Ceux qui sont restés sur le territoire sont persécutés et tués. Ceux qui l’ont quitté sont maintenus en exil.
En 1973, un coup d’État élève Juvénal Habyarimana, alors ministre de la Défense, à la tête du pays. Sa politique semble plus clémente envers les Tutsis. Il met tout de même en place un système de quotas discriminants : Seuls 10% des Tutsis peuvent s’instruire et travailler.
Les Tutsis et les opposants Hutus exilés en Ouganda créent en 1990 le Front Patriotique Rwandais (FPR). La branche armée de ce parti, aidée par l’armée angolaise, lance une offensive au nord du Rwanda. Le président Habyarimana bénéficie de l’aide de la France, de la Belgique et du Congo (RDC) et parvient à repousser cette attaque.
Juvénal Habyarimana voit son pouvoir diminuer en 1992 lorsque les partis d’opposition remportent les élections. Un attentat contre l’avion du Président Habyarimana est perpétré. C’est l’élément déclencheur d’abord d’une rumeur qui va s’amplifier jusqu’à aboutir au génocide.
4. La sortie du conflit
Le FPR est l’un des acteurs principaux de la reconstruction même si certains, comme Faustin Twagiramungu, l’accusent d’exactions. Le 19 juillet 1994 un nouveau gouvernement est constitué. Pour reconstruire le pays, l’une des premières étapes nécessaires , et sans doute la plus difficile, est de rendre la justice.
Pour cela, le Rwanda fait preuve de beaucoup de créativité. Centraliser le jugement de tous semble bien trop complexe. Il décide alors de revenir aux tribunaux populaires traditionnels : les gacacas (arbres à palabres). Cette méthode d’avant la colonisation consistait à résoudre les conflits au sein d’un village. Un juge était choisi par la communauté et chacun, face à lui, racontait leur propre vécu du drame. Dans le cadre de l’après génocide, cette forme de thérapie collective a permis aux bourreaux d’être face aux victimes. Cette confrontation n’a pas seulement été vecteur de jugement, mais aussi de rapprochement.
Le lien a, au moins, été rétabli. Le gacacas, bien plus qu’un simple tribunal, est un lieu qui permet une véritable confession du bourreau et un réel pardon de la victime.
Comme toute thérapie, les gacacas font ressurgir des émotions vives dont les effets ne sont pas tous prévisibles. Le gouvernement s’emploie donc à former des milliers de « conseillers en traumatisme ». Cette démarche concerne aussi bien les victimes que les bourreaux.
20 ans après, les plaies semblent cicatrisées mais le souvenir reste douloureux. Le Rwanda n’en est pas moins un véritable modèle dans la construction d’un processus de réconciliation. Hutus et Tutsis ont réussi à se redéfinir des valeurs communes qui facilitent leur vie ensemble. Au delà de ça, ce qui résulte de ce génocide ; c’est le : « PLUS JAMAIS ». Le pays travaille pour que la mémoire de ce drame subsiste mais aussi pour qu’elle soit une force de dissuasion. « Il faut une reconstruction mentale, si nous voulons qu’une telle barbarie ne se reproduise pas », a insisté le professeur Bouba Diop, médiateur de l’Ucad (Université Cheikh Anta Diop) de Dakar.
Gauthier Kulula