Du Black History Month aux Journées Africana avec Maboula Soumahoro

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Maboula Soumahoro. Racines africaines. Nationalité française. Etudiante puis enseignante aux Etats Unis. Issue d’un milieu modeste. Aujourd’hui, docteur en langues, culture et civilisation du monde anglophone et présidente des Journées de l’Africana. En lien avec le Black history month, du 15 au 17 mai 2014, tables rondes, expositions et projections sont organisées. L’objectif : célébrer la culture africaine et donner un autre regard.

Par Marion Bordier

Quel est l’histoire du mouvement Black History Month ?

Lors de sa création (1926) et jusque dans les années 70, cette célébration annuelle durait une semaine et s’appelait la « Negro History Week ». C’est Carter G. Woodson, souvent considéré comme le père de l’histoire afro-américaine, qui en a eu l’initiative. Puis, ça s’est étendu à tout février car c’était le mois de l’anniversaire du président de l’Amérique Abraham Lincoln ou de l’abolitionniste afro-américain Frederick Douglass.

Pourquoi le mois de mai pour les Journées de l’Africana alors ?

Parce qu’il correspond à des évènements majeurs, tels que le vote de la loi Taubira de 2001 reconnaissant les traites et l’esclavage comme crimes contre l’humanité ou encore la commémoration du 10 mai qu’elle a impulsée.

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Pensez-vous que le contexte de l’époque (1926) a joué dans l’élaboration du Black history month ?

Bien sûr.  C’était la période de l’entre deux guerres avec des grandes migrations des Afro américains vers le Nord pour fuir le racisme du Sud. Beaucoup allaient dans les grandes villes industrielles septentrionales. Mais cette vague migratoire a également inclus des personnes issues des Caraïbes. C’est DONC une période de rencontre diasporique sur le territoire américain avec des mouvements sociaux, radicaux, artistiques. D’ailleurs, on va appeler ça la Harlem renaissance. Ces années ont vraiment semé les germes du mouvement pour les droits civiques des années 50 et 60.

Comment le Black history month, à l’origine américain, s’est-il exporté en Europe et en France ? Pourquoi ?

Je ne sais pas. Mais en Allemagne, au Canada et en Grande Bretagne il existe un Black history month. Pourquoi ? Ce sont des pays avec une présence Afro descendante significative. Ils ont dû ressentir le besoin de mettre leur histoire et leurs expériences à l’honneur. Les gens ont fait ce qu’ils voulaient

Cette année, les journées de l’Africana reçoivent Chuck D et Asocial Club. Quel est l’intérêt d’avoir des figures majeures ?

Chuck D est notre invité d’honneur. L’association essaye de garder un lien transatlantique entre les Etats Unis et la France. Ce rappeur c’est le côté américain. La thématique étant les années 80, il convenait parfaitement en termes de revendications politiques, de hip hop. Sa musique délivre un véritable message, notamment de défense des Afro américains. Pour le côté français, on a choisi Asocial club qui est composé des rappeurs indépendants Al, Casey, Prodige, Rocé, Vîrus et Dj Kozi. Ce sont des personnes engagées qui produisent un rap conscient, pour dire des choses qu’on n’entend pas forcément ailleurs.

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L’année dernière, quel était le visage des « visiteurs » aux Journées de l’Africana ?

Tout le monde vient. Bien sûr, il y a beaucoup de Noirs mais la première année à Rennes les Blancs étaient majoritaires. A Paris, la population Afro est importante alors c’est différent. Mais noir ne veut pas dire fermé. Vient qui veut, qui est intéressé par la thématique de l’année. C’est une question de goût. Par exemple, pour cette édition, ce sont les années 80 qui sont mises à l’honneur. Ça peut plaire ou non mais en tout cas, c’est un évènement ouvert à tous.

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A votre sens, pourquoi organiser cette célébration est important ?

En France, c’est essentiel car c’est une offre culturelle qui propose de FAIRE découvrir des sujets peu connus, peu exploités. On parle de sujets symboliques qui font du bien à tout le monde. Cela permet d’apporter une certaine culture générale. Aux Etats Unis, cette célébration donne une visibilité accrue, un rappel historique, culturel. Pour une fois, un peuple marginalisé, oppressé, dominé, qui ont fait des tas de choses, est à l’honneur.

« Je ne veux pas d’un Mois de l’Histoire des Noirs. L’Histoire des Noirs c’est l’Histoire Américaine » a déclaré l’acteur Morgan Freeman. Que pensez-vous de cette phrase ?

Oui il a raison. Mais dans le meilleur des mondes. Les Afro-Américains sont des Américains avant tout. Donc la célébration de leur histoire devrait avoir lieu toute l’année et non pas que pendant un mois. Mais vu que ce n’est pas le cas, les gens ont ressenti le besoin de créer ce mois. De mette à l’honneur leur communauté pour quelques semaines. Quand cette population sera traitée de manière juste et équitable il n’y en aura plus besoin de ce mois. Mais il y en a qui ne souhaitent pas qu’il existe comme il y a des féministes qui ne veulent pas d’une journée internationale pour les droits des femmes.

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Les Américains et les Français ont-ils le même rapport à la colonisation et à leur population noire ?

Non pas du tout car ils n’ont pas la même histoire. Les Etats unis n’ont pas eu d’empire colonial à proprement parlé. Ils n’ont fait qu’exercer une domination politique et économique sur les Amériques, le Pacifique avec des annexions, des occupations comme à Haiti, Cuba ou Porto Rico au début du XXème siècle. Il n’y avait pas d’imposition de la langue ou du système éducatif. Tandis que les Etats européennes comme l’Allemagne ou la Grande Bretagne ont eu un véritable empire colonial. La colonisation américaine n’a pas du tout le même modèle que celle de l’Europe.


Propos recueillis par Marion Bordier

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Sur l'auteur

Maboula Soumahoro
Maboula Soumahoro

Française d'origine ivoirienne, Maboula Soumahoro est docteur en Langues, Culture et Civilisation du monde anglophone. Initiatrice du Black History Month France. Journées de l'Africana