« Le but de la marque Bledardise est de se réapproprier nos clichés » (Wilfried Essomba-Kede)

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On les croise dans le métro, sur les réseaux sociaux ou dans la rue : les t-shirts afro sont parmi nous ! Lorsqu’il était audacieux en France, il y a encore quelques années, de revendiquer une identité spécifique, de nombreuses marques comme Noir et Fier, My t-shirt afro ou encore OWL PARIS affirment aujourd’hui avec fierté un attachement aux cultures afro-urbaines. L’une d’entre elles, Blédardise, se distingue par son humour piquant pour tourner en dérision les clichés sur les diasporas africaines françaises. Totem a rencontré son fondateur, Wilfried Essomba-Kede.

Avant toute chose, peux-tu nous présenter ton parcours ?

Je suis né au Cameroun, puis arrivé en France à l’âge de 12 ans. J’ai fait un bac S puis un DUT en techniques de commercialisation avant de passer une année d’études en Angleterre pour un Bachelor en marketing. A mon retour en France, je me suis lancé dans l’aventure entrepreunariale, avec Blédardise.

Explique-nous ce concept de Blédardise ?

C’est avant tout une marque afropolitaine qui s’inspire des cultures africaines, à la confluence entre l’Afrique et l’Europe. Notre philosophie, c’est de s’affranchir du poids des origines, des étiquettes qu’on nous colle et de déconstruire un stéréotype pour construire un nouvel univers cool, décalé.

Depuis la création en 2012, les t-shirts se vendent-ils bien ?

On a lancé un premier crowdfunding qui a bien fonctionné, on demandait 3000€ et on a finalement reçu 3600€ pour développer la marque. Je suis ensuite passé à la vitesse supérieure, avec un premier distributeur bien situé à Lyon, où nous sommes basés. On a écoulé plus de 400 t-shirts, et on estime avoir une base de clientèle entre 350 et 400 personnes. Notre objectif est maintenant d’avoir des distributeurs sur Paris, d’où viennent beaucoup de nos clients en ligne.

Notre clientèle se répartit en 3 segments : les descendants d’immigrés, les Français non-immigrés, qui adhèrent à notre humour et des personnes séduites par la mode plus généralement. En général, quand je porte un t-shirt Blédardise dans la rue, les gens sourient ou me prennent en photo. Les retours sont positifs il y a un effet viral, qui amène d’autres personnes sur le site.

Quel est ton regard vis-à-vis de marques comme Noir et Fier, My-t-shirt afro ?

On a des produits similaires mais on essaie de produire des campagnes décalées, pas sur nos vêtements mais plutôt sur notre univers, avec des affiches drôles et un jeu sur les clichés.

Que penses-tu des mouvements comme Blanc et fier, qui prennent le contrepied de ces marques ?

Il y a de la place pour tout le monde. Mais notre marque n’est pas politique, elle a, certes, une forte identité, mais elle n’est pas communautaire. Cette marque, Blanc et Fier, semble surtout politique, puisqu’elle surfe beaucoup avec l’extrême-droite, mais ça nous a fait un peu de publicité, puisque c’était une réaction à nos marques.

On constate un humour sur l’immigration plus décomplexé, avec des humoristes comme Dycosh. As-tu l’impression que la parole se libère pour plaisanter sur ces sujets ?

Effectivement ! Le but, c’est de se réapproprier les clichés. L’humour, c’est la meilleure manière de décomplexer les gens sur certains sujets, notamment sur l’immigration. Nous, les immigrés de seconde génération, avons « le cul entre deux chaises » : nous avons des liens très forts avec nos parents, qui conservent leur culture d’origine, tout en acquérant la culture du pays qui nous accueille.

C’est aussi une manière de lutter contre le racisme, une façon de prendre la parole dans un espace où elle n’était pas donnée. On a pris l’habitude de voir l’immigration se faire raconter par les autres.

Penses-tu que le concept de Blédardise s’exporterait bien « au bled » ?

Nos t-shirts seraient vus avec le même humour, mais il y a des codes qui ne marchent pas pareil. Le concept de blédard a son sens en Europe, mais en Afrique il faudrait faire appel aux cultures africaines, et on le fait déjà avec nos t-shirts « on s’enjaille mon frère », très populaires.

Et à d’autres origines ? Un Blédardise pour les immigrés maghrébins ou asiatiques serait envisageable ?

J’espère ouvrir le concept à ces cultures. J’aimerais bien collaborer avec des personnes qui en sont issues. Mais il faudra être prudent, et faire constamment attention à ne pas dépasser la limite en termes d’humour. Sur ce domaine, on fait très attention, tout est contextualisé, on essaie de faire de la pédagogie et de transmettre un message de fond derrière.

Faut-il être Noir pour faire de l’humour sur les Noirs ?

Il faut faire gaffe à l’appropriation culturelle : quand on n’est pas concerné, ça peut mal passer. En général, quand l’humour est bon, ça passe, mais on n’accordera pas la même légitimité à un Blanc qui lancerait Blédardise. J’ai eu ce problème-là moi-même en étant Noir, certains proches désapprouvaient le nom de la marque, disaient que ça revenait à se tirer une balle dans le pied. Une fois que j’ai expliqué le concept, c’est allé mieux. Comme je dis souvent, on n’a pas besoin d’être marin pour porter du Petit Bateau, donc pas besoin d’être immigré pour porter du Blédardise !

Quels sont tes prochains projets ?

D’abord étendre le réseau de distribution, nous avons une campagne de crowdfunding en cours pour ouvrir un pop-up store [magasin temporaire ndlr]à Paris. On aimerait aussi utiliser du wax pour faire du prêt-à-porter, avec des jupes, des tuniques ou des chemises pour hommes. On compte aussi continuer dans l’événementiel, avec nos alloco parties, des soirées où les gens viennent manger des frites de banane plantain sur une playlist afro-urbaine. J’aimerais bien me lancer dans la partie anglophone pour pénétrer le marché anglais, en valorisant surtout le côté afropolitique, davantage que l’aspect blédard, typiquement afro-français.

Bledard is the new cool

Crédits photos : Elsa Rakoto.

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Sur l'auteur

Noé Michalon

Noé Michalon est journaliste, particulièrement intéressé par les questions de politique africaine et de mixité sociale dans les sociétés occidentales. Il est actuellement en master d’études africaines à Oxford (Royaume Uni).