«Une forme de rap joue avec les stéréotypes sexuels, et alors ?» Entretien

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Maboula Soumahoro, maître de conférence à l’université de Tours, initiatrice du Black History Month en France nous parle création, stéréotypes sexuels et sexués, et revient sur la commercialisation du rap.

Quel impact a l’héritage de l’histoire dans les visions du corps noir ?

Puisque l’histoire a inventé le Noir, tout comme elle a inventé le Blanc, il est évident que la vision du corps noir aujourd’hui encore est tributaire de cette histoire. Cette histoire est longue et loin d’être monolithique. Mais ce qu’il me semble important de retenir, c’est que cette fabrication des catégories raciales, ce que l’on nomme les processus de racialisation, a eu lieu dans un contexte de profondes hiérarchisation, domination et marginalisation.

Depuis ce que l’on appelle l’ère moderne (car la vision du corps noir n’a pas toujours été identique à celle que l’on connaît depuis), le corps noir a été, tour à tour, selon les époques et les lieux : un corps d’esclave, de travailleur exploité, un corps bestial, un corps ni civilisé, ni civilisable, un corps de païen, impure et sale, un corps laid, puissant : brutal et violent, un corps hyper sexualisé mais aussi rendu asexué, un corps de pauvre, de sportif, de criminel, de sans-papiers, de réfugié… La liste est longue.

Le corps noir, on pourrait dire, est l’incarnation antithétique de celle du Blanc. Il représente son contraire absolu. Telle est la façon dont l’Occident a choisi de se construire et de se définir à l’ère moderne.

Les mouvements noirs ont-ils abordé cette question?

Que ce soit en France ou dans d’autres espaces occidentaux, les mouvements luttant pour l’émancipation, la décolonisation, la liberté, l’égalité etc ont toujours abordé la question de la vision, de l’appréhension du corps et de l’être noir. Ces mouvements ont lutté pour la reconnaissance pleine et entière de l’humanité du Noir. A tous les niveaux : spirituel et religieux, éducatif, économique, artistique et esthétique. La question de la protection et de la sécurité du corps noir a également été posée, que l’on parle de la pratique du lynchage ou des violences policières.

Et les créateurs (littérature, peinture, théâtre..)?

Bien entendu les arts produits par les personnes identifiées comme noires à travers le monde ont également pris à bras-le-corps cette question. Aux Etats-Unis, les récits d’esclaves constituent le fondement de la littérature afro-américaine qui, de nos jours, est reconnue comme si capitale à la littérature nord-américaine. Que faisaient ces récits, si ce n’était affirmer l’humanité, la dignité et la valeur de ces esclaves noirs ? Si l’on pense à la France, les personnes qui ont fondé la Négritude, par exemple, ont cherché à théoriser et produire une écriture reflétant au plus près leur expérience de vie et leur rapport au monde. Le mouvement a été critiqué depuis, mais il reste fondamental. En outre, les velléités de la Négritude ne se cantonnaient nullement à la littérature ou la poésie, ce mouvement était profondément politique. Les arts sont politiques, de manière générale. Je pense également à la musique reggae qui est née à la Jamaïque et qui a pris son essor grâce à la philosophie et la spiritualité rastafari. Qui ne connaît pas Bob Marley aujourd’hui ? On connaît peut-être moins bien les Rastas, ce qui est dommage car ils sont, à mes yeux, l’un des groupes qui a le plus radicalement lutté pour se réapproprier et redéfinir le corps et l’âme noirs. Cela s’est joué jusqu’à la coiffure qu’ils ont choisie, les dreadlocks. Leur message à la fois politique, spirituel, religieux et philosophique a eu des conséquences artistiques majeures !

Certains voient dans une certaine forme de rap une intériorisation des stéréotypes, qu’en pensez-vous?

Tout d’abord, je dois d’emblée déclarer que j’aime énormément le rap et que j’ai infiniment de respect pour cette forme artistique. Je me désole toujours du procès qu’on lui fait constamment.

Pour moi la question ne se limite pas à celle de l’intériorisation des stéréotypes. Oui, une certaine forme de rap joue sur les stéréotypes. Et alors ? Le rap n’est pas le seul espace où cela se produit. Ce qui m’intéresse davantage sont les questions liées à la marchandisation et la visibilité de certaines formes de rap qui mettent en avant une imagerie spécifique. N’oublions pas, et je pense que cela peut s’appliquer à la grande majorité des musiques noires, de regarder qui fabrique ces formes artistiques et qui les consomme ? En d’autres termes, qui paye pour avoir accès à cette imagerie décriée ? De plus qui finance et distribue cette forme de rap ? Quid de toutes les autres formes de rap qui, du coup, sont invendables donc invisibles ? Pourtant, elles existent. Elles demeurent à la marge. La musique rap est extrêmement riche et variée. L’intériorisation des stéréotypes dont nous traitons ici peut parfois être un renversement du stigmate, c’est-à-dire l’utiliser à son avantage. Je pense ici à une phrase connue de Hattie McDaniel, la première actrice afro-américaine à avoir obtenu un Oscar pour son rôle dans le film Autant en emporte le vent. De toute évidence, même à l’époque de la sortie du film, les Afro-américains n’avaient aucun doute quant au rôle stéréotypé interprété dans ce classique du cinéma américain blanc. Interrogée sur la question, McDaniel fit mouche en déclarant qu’elle préférait jouer le rôle d’une bonne noire à travailler comme bonne noire. Ce qui importait à ces yeux était la différence de rémunération entre les deux postes. Je pense que ce dont il s’agit véritablement ici est la question de l’absence d’opportunités, notamment économiques.

Hattie McDaniel

Hattie McDaniel, se fait remettre un oscar pour son rôle dans le film « Autant en emporte le vent »

Recueilli par Marc Cheb Sun et Noé Michalon

Sur l'auteur

Auteur, éditorialiste, il travaille sur différents enjeux et dynamiques autour de la France plurielle (société, culture, économie, histoire, religions…) et dirige le média dailleursetdici.news. Il développe également des fictions (romans, scénario..) et collabore à différents médias.

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