Gangsta Rap : «Une dépréciation de la femme noire» Interview

0

Karim Madani est un Story teller hors-pair, du roman (Casher nostra, Hip-hop connexion, Le jour du fléau) aux bios de Spike Lee ou Kanye West. Son dernier opus Jewish Gangsta est un petit bijou où de jeunes Juifs déclassés sont pris dans la guerre des gangs à Brooklyn.

Dans le rap US, la question Noir-Blanc liée au sexe est hyper présente…

Elle est tributaire de pas mal de stéréotypes. Dans les années 1990, quand Da Lench Mob, l’un des premiers groupes de rap, parle de relations sexuelles avec une Blanche, c’est souvent en mode gang bang. Il y a la figure de la Blanche sacrifiée, une thématique houleuse, scabreuse, fondamentale dans la notion de race aux Etats-Unis, où la femme blanche a longtemps été «le fruit défendu» pour les Noirs. Une simple relation sexuelle avec une Blanche était assimilée à un viol et a conduit bon nombre d’hommes au lynchage. Un imaginaire particulier se forme quand ton père ou ton arrière-grand-père te raconte des histoires où un type se fait lyncher parce qu’il est sorti avec une Blanche. Et souvent les Noirs étaient émasculés. Dans l’imaginaire du Blanc des années 30, ça ne pouvait être qu’un viol : l’homme noir était considéré comme un animal, donc incapable de susciter le désir. Quand tu grandis avec ces images, il y a quelque chose de l’ordre de l’amour-haine qui se développe et la possession d’une femme blanche peut être, par certains, ressenti comme un acte «politique», ce qu’on retrouve dans un certain rap. Une chanson du groupe Hard Knocks parle d’un Noir foncé ; il sort avec une Noire qui se fait passer pour blanche. Il va chez ses parents, qui sont extrêmement métissés, quasi blancs, et raconte à quel point cette famille essaie d’échapper à sa condition noire. Dans l’imagerie rap, les couples mixtes, ça n’existe pas, c’est soit Noir-Noire, soit Noir-Métisse, mais il y a très peu de chansons où on parle de relations entre Noir et Blanc. Jusqu’en 2000, il n’est pas question de relations mixtes dans les lyrics. Puis il y a l’arrivée de rappeurs alternatifs qui, pour beaucoup, ont fait la fac. On le voit avec Tyler The Creator ou Kanye West, tous ces gens qui ont grandi en Californie et qui sont moins dans les codes du gangsta rap. Ils ont commencé à casser ce tabou. Les rappeurs des années 1995 étaient dans le ghetto, les filles qu’ils fréquentaient étaient des nanas du ghetto. C’est intéressant de voir comment les rappeuses homosexuelles, par exemple Queen Latifah, ont développé une conscience aigüe de leur corps, une autre présence, une autre gestuelle.

La question des hommes noirs «valorisés» par une femme blanche est-elle illustrée par des rappeurs ?

Oui, dans la nouvelle génération de trentenaires qui font du rap hardcore. Dans leur imaginaire, comme dans les paroles de certains membres du Wu Tang, on retrouve ce qu’ils appellent leur White Bitch, celle qui va transporter des flingues, etc. Et il y a une dépréciation de la femme noire, vue comme matérialiste. Regardez Kanye West, son morceau Gold Digger, dit que la femme noire aujourd’hui ne se mariera pas avec un «négro  fauché», c’est dans les premières lignes du morceau. Dans tous ses morceaux, surtout dans All falls down, il décrit la femme noire comme matérialiste. Il cherche chez la femme blanche quelque chose d’autre. Dans ce registre, le film Gimme the loot raconte la journée d’un graffeur dans le Queens, qui trouve chez une fille blanche tout ce qu’il n’avait pas vécu avec sa copine du ghetto, des bouquins par exemple, et, à son retour, il est plein de mépris pour les filles de son quartier. On dénonce souvent un côté ultra matérialiste pour des Noires, un côté «gueularde» pour d’autres : la femme noire émasculerait presque. Des artistes comme Rock Marciano, Raekwon, Ghostface Killah entrent dans ce cliché.

Le public du rap, aujourd’hui, est aussi blanc et féminin. Une femme blanche qui écoute du rap et entend «white bitch» réagit comment ?

Pour beaucoup c’est juste le son qui les branche. Pour d’autres, c’est ambivalent, à la fois elle peuvent se dire que cette place qui n’est pas possible. D’un autre côté, il y a aussi une sorte de fascination malsaine et sexuelle, il faudrait faire bosser des psychanalystes. C’est quelque chose de l’ordre du rapport de domination. L’écrivain Dany Laferrière, dans Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer, disait que la façon dont certains Noirs traitaient les femmes blanches n’était qu’un résidu d’un processus de domination entre Blancs et Noirs. Je pense que ces rapports de domination se retrouvent sur un plan sexuel. Peut-être qu’un jour on dépassera tout ça pour avoir de simples rapports normaux. Maintenant, comment sortir de ces figures du mâle noir surpuissant sexuellement, des figures majoritairement racistes, et dont se prévalent plusieurs rappeurs ? Dans le film Jungle Fever de Spike Lee, on voit bien qu’une histoire aurait pu être possible entre Anabella Scoria et Wesley Snipes. Mais ils sont pris dans tellement de préjugés au sein de leurs communautés, qu’ils n’ont plus aucune liberté, ils sont conditionnés par cette vision. Sinon une autre remarque : dans les clips de rap, les vidéo-girls sont des Noires qui n’ont pas la peau foncée. J’en ai interviewées, elles disaient toutes que, dans les castings, l’une des convictions primordiales était d’avoir la peau claire. Jay Z rappait : «Les filles claires, à l’école, aucune ne me calculait, aujourd’hui, elles veulent toutes aller avec moi». Il y a aussi ça, le rapport à la peau foncée, ça joue, et cette rime de Jay-Z le symbolise bien.

Pour aller plus loin :

Sur l'auteur

Auteur, éditorialiste, il travaille sur différents enjeux et dynamiques autour de la France plurielle (société, culture, économie, histoire, religions…) et dirige le média dailleursetdici.news. Il développe également des fictions (romans, scénario..) et collabore à différents médias.

Comments are closed.