«L’usage de drogue se diffuse dans toutes les couches de la société»

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Avec son livre coup-de-poing, Marianne la sœur du dealer, Maliya Allie nous livre un témoignage d’une rare puissance que, notamment, tous nos politiques (ou presque…) devraient s’empresser de lire.

C’est un drame familial qui vous conduit à écrire…

Mon petit frère Issa était, dès son plus jeune âge, un enfant réfractaire à l’autorité. Dès l’âge de 16 ans, il décide d’arrêter l’école et s’oriente vers la petite et moyenne délinquance qui le conduisent en prison alors qu’il est toujours mineur. Âgé de 20 ans, il se réinsère dans la société et décroche son premier job à Boulogne Billancourt. À l’époque, cela rassure mes parents persuadés qu’il a choisi de changer de voie…  Mais le lundi 8 juin 2009, mon frère est arrêté au domicile de mes parents lors d’une descente de police dans la petite cité HLM du square de l’Avre et des Moulineaux, toujours à Boulogne-Billancourt. Dès le lendemain, l’affaire est révélée par le Parisien (Édition Hauts-de-Seine). Après une garde à vue, il est placé en mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Nanterre puis mis en examen pour des faits d’infraction à la législation aux stupéfiants (cannabis). Lors de la perquisition, aucune drogue ni somme d’argent n’est retrouvée au domicile de mes parents qui ignorent que mon frère se trouve mêlé à ce trafic. Deux mois après son arrestation, l’avocat du bailleur (Hauts-de-Seine Habitat), obtient de la part du procureur du parquet de Nanterre les identités et informations concernant les 7 jeunes mis en examen, dont mon petit frère. Puis ma famille reçoit une assignation à comparaître au tribunal d’instance de Boulogne-Billancourt pour trouble de jouissance, sur la base des faits de trafic de cannabis reprochés à Issa, qui, dans le même temps, attend toujours son procès. En décembre 2010, en appel, il obtient une réduction de peine, mais est reconnu coupable de trafic de stupéfiants et condamné à deux ans et demi de prison ferme, dix-huit mois avec sursis, mise à l’épreuve pendant une durée de deux ans et interdiction de séjour de 12 mois à Boulogne-Billancourt.

Les conséquences, que vous dénoncez, sur votre famille seront extrêmement lourdes…

Un père retraité et asthmatique, une mère femme de ménage et diabétique qui, en plus de souffrir des actes de délinquance d’un fils qu’ils ont éduqué correctement et tenté de sauver de la prison au sein d’un environnement difficile, payent lourdement pour des actes qu’ils n’ont pas commis. Des actes qu’eux-mêmes et tous les autres membres de ma famille condamnent fermement… Un fils en prison, qui ne vit plus au domicile et qui n’est pas impacté par tout ce que cela a créé. Pour les autres membres de la famille… depuis 8 ans, à chaque fin de trêve hivernale, des cauchemars, de l’anxiété, du stress ne sachant pas si la police va venir déloger ou pas. Des attaques de panique et de l’hypertension conduisant aux urgences. Une petite sœur âgée de 10 ans qui subit cette procédure depuis l’âge de 2 ans et a fini par développer des troubles affectifs. Des frais d’avocat, d’huissiers, de justice qui plongent la famille dans une situation d’extrême précarité. Des études et des examens scolaires, universitaires perturbés par cette procédure. Pour ma part, des répercussions sur mes études supérieures et mon travail en alternance dans une banque internationale dans laquelle je devais donner entière satisfaction. Le sentiment d’injustice qui détruit au quotidien… une famille vulnérable face au système, une famille modeste face à un des premiers offices HLM de France. Des audiences sous tension avec présence policière. Des titres de journaux nous définissant comme une « famille de dealers » conduisant à des amalgames. Des commentaires sur internet, nous qualifiants « d’étrangers vivant sur les impôts des Français sous toutes ses formes ». Faire face aux journalistes tout en évitant de perdre notre anonymat. Tenter désespérément et difficilement de mobiliser à travers des actions civiques : pétitions, rassemblements, envoi de courriers et appel à l’aide aux autorités. Subir l’acharnement et avoir au-dessus sa tête une menace permanente et perpétuelle.

La particularité de votre essai est de relier votre témoignage à une analyse des conditions faites aux quartiers populaires et aux descendants de migrations post coloniales…

Il ne serait pas correct de lier cette affaire au seul fait de notre origine. Indubitablement, c’est notre statut social qui nous a condamné… puisque dans la même situation de menace d’expulsion, se trouve une mère célibataire de 2 enfants, agent municipale de la ville de Boulogne-Billancourt et Française de souche. Toutefois, en tant que descendants de migrations post coloniales, le gouvernement attend de nous et exige de nous que nous allions vers un processus d’intégration au sein de la société française. La plupart d’entre nous tendent vers cette optique, par nos études, notre travail, etc.  Cependant, à travers ce fait de société, je me suis rendu compte que le but de cette méthode était en réalité de nous en exclure violemment. Puisqu’il s’agit pour des gens innocents d’être mis dans le même sac que des délinquants sans même se poser la question de savoir si certains d’entre nous peuvent être utiles à la société… des personnes insérées et apportant leur contribution à la nation sous toutes ses formes. Des personnes qui cassent les stéréotypes nous définissant par exemple comme une famille qui profite des allocations familiales. Au sein de ma famille : des parents travailleurs, des diplômés de BTS, licence, CAP, masters orientés gestion et comptabilité, un frère, président d’une association, un autre éducateur sportif, ma petite sœur en première année de médecine. Alors comment peut-on nous demander d’une part de nous intégrer si d’autre part on nous exclut pour un acte que nous n’avons pas commis ? Je trouve cela hypocrite et révélateur…

La question de la drogue et de son utilisation dans les quartiers populaires est un thème récurrent sur plusieurs parties de la planète. …

En effet, il s’agit d’une problématique largement dénoncée par les médias et les pouvoirs publics à travers le monde. Pour ma part, ce récit n’a pas pour but de me poser en tant que porte-parole des dealers de France. L’objectif de cet ouvrage n’est absolument pas de défendre leurs intérêts. Toutefois, je pense qu’il s’agit d’un type de délinquance fortement lié à la pauvreté sociale à contrario de la délinquance à col blanc perpétrée par des gens issus de milieux aisés. L’usage de drogue se diffuse dans toutes les couches de la société. Les consommateurs sont de toutes les classes sociales, de toutes  tranches d’âges, surtout des jeunes.

Expulser des familles entières n’est pas la solution, en l’occurrence il s’agit d’une méthode répressive, immorale et inéquitable allant à l’encontre de la Constitution Française. Cela ne règle pas le problème dans le fond mais fait plutôt mine de le régler en surface. Ce type de méthode aggrave la situation et entraine des tensions sociales supplémentaires. De toute évidence, le trafic de stupéfiants et la consommation de drogue ne disparaitrons pas de cette manière…

Recueilli par Marc Cheb Sun

Edition : Maliya ALLIE – Hauts-de-Seine

Le livre est disponible sur internet :  Amazon en version broché et sur Apple store et Kobo/Fnac en version numérique.

http://www.maliya-allie.com/

Maliya Allie aussi lancé une pétition sur change.org afin que le ministre de la justice et les ministres concernés se saisissent de l’affaire et que la Cour de cassation tranche et reconnaisse le caractère illégal de cette méthode de lutte contre le trafic de stupéfiants. Le Conseil Constitutionnel ayant récemment censuré une loi transposant l’arrêt rendu à l’encontre de ma famille.

Pour de plus amples informations, je vous laisse prendre connaissance de ma pétition au lien suivant : https://www.change.org/p/pour-que-nos-liens-de-parent%C3%A9-ne-nous-condamnent-pas-%C3%A0-la-double-peine?utm_source=embedded_petition_view

Marianne usage de drogue

Sur l'auteur

Auteur, éditorialiste, il travaille sur différents enjeux et dynamiques autour de la France plurielle (société, culture, économie, histoire, religions…) et dirige le média dailleursetdici.news. Il développe également des fictions (romans, scénario..) et collabore à différents médias.