Kossi Modeste est le fondateur et le directeur de publication d’Afrocooking – un magazine dédié aux cuisines africaines mais aussi créoles – et de son site web www.afro-cooking.com. Ce Français d’origine togolaise livre les secrets de son trimestriel. Un 108 pages qui met l’eau à la bouche par son esthétique, son originalité et sa ligne éditoriale. INTERVIEW.
Comment vous est venue l’idée de créer un magazine sur les cuisines africaines et créoles ?
C’était il y a quatre ans. A l’époque, je travaillais dans l’électronique et l’informatique mais ma grande sœur était chef, ma mère traiteur alors, depuis tout petit, je baigne dans le monde des fourneaux. Et puis, un jour, j’ai voulu rendre hommage à ma maman en envoyant une lettre à un magazine de recettes de cuisines africaines. Et là, le choc, contre toute attente, ça n’existait pas ! Alors, entrepreneur dans l’âme, j’ai décidé que, ce média, je le créerai.
Comment l’aventure Afrocooking s’est-elle mise en place ?
J’avais le nom du magazine en tête : Afrocooking. Pourquoi ce titre ? Pour faire référence à toutes les cuisines africaines et créoles. Il fallait juste lui donner une âme avec une équipe de rédaction et un infographie fidèle, talentueux pour créer une bonne image du support et des gastronomies afro-créoles. J’ai mis deux ans avant de trouver le bon. Justin Kikunga, voilà son nom. Belge d’origine congolaise. Il a créé le logo. Pour moi, c’est à partir de là que l’entreprise 2.0 a vraiment pris un tournant. Bien après, est venue la rédactrice en chef, Anissa Sadar, basée à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le premier numéro d’Afrocooking a vu le jour au printemps 2015, en partie grâce à mes économies. Il a été tiré à 10 000 exemplaires que nous avons distribués gratuitement pour gagner en visibilité.
Pour le second numéro vous avez fait appel au crowfounding…
Nous avons été invités à la foire de Paris pour faire des démonstrations culinaires avec des ateliers, la présence de chefs afro-créoles comme Loïc Dablé, des dégustations, etc. Et, au vu de l’engouement, nous avons décidé de tester le financement participatif pour voir s’il y avait confirmation de cet attrait pour notre projet. Et ça a été le cas puisque nous avons dépassé l’objectif de 7 000 euros récoltés !
Quels sont les retours des lecteurs ?
Eh bien positifs ! On compte 28 000 followers sur la page Facebook d’Afrocooking, 13 700 sur Instagram et 500 sur Twitter. Nous appelons cette communauté « la tribu des pimentés ». Certains sont basés en Suisse, au Canada, aux Etats-Unis ! Quant au site web – http://www.afro-cooking.com/ – il compte 10 000 visites par mois, en moyenne. Beaucoup de gens me disent « tu as réalisé l’idée que j’avais, mon rêve ; un magazine sur les cuisines de nos pays ! ». Il y a même des chefs du monde entier qui me félicitent car ils se retrouvent dans le 108 pages. Des amis, des passionnés, des cuisiniers avaient besoin d’Afrocooking. Avant sa création, ils me confiaient « ce n’est pas qu’on ne parle pas de nous, c’est qu’il n’y a pas d’endroit où le faire ». Pour l’instant, nous n’avons pas encore eu vent de critiques mais évidemment, nous sommes le premier média à faire ça, alors les gens ne peuvent qu’adhérer. Avec la concurrence, elles viendront peut être… Mais de toute façon, la nourriture rapproche toujours. Pour signer un contrat, il suffit de préparer un bon plat ! (rires).
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Pour vous, la cuisine a donc le pouvoir de rassembler ?
Bien sûr ! Toute mon enfance et mon adolescence, j’ai baigné dans la cuisine togolaise, guyanaise, de tous les pays d’Afrique et des Caraïbes. Le soir, je pouvais être invité chez des amis congolais ou camerounais. Dans ces moments de convivialité, peu importait les origines, les croyances. On était juif, arabe, chrétien, noir ou blanc, nous étions tous ensemble et ce qui nous rassemblait, c’était la cuisine. « Autour du ventre, il n’y a jamais de guerre » : voilà la phrase préférée de ma mère. Alors je vis peut être dans un monde utopique mais, pour moi, l’avenir c’est le brassage culturel, le métissage, un Chinois qui se marie avec une Malienne ou un Sénégalais avec une Ukrainienne. Nous avons besoin d’apprendre des uns et des autres et ça, la cuisine peut le faire.
En tant que directeur de publication du magazine, qu’est-ce que vous ne voulez absolument pas en termes de ligne éditoriale ?
Qu’Afrocooking devienne un simple magazine de recettes. Il est informatif avant tout ! Il y a des idées de plats bien sûr mais aussi des zooms sur des aliments typiques de la cuisine afro-créole, comme la patate douce, le riz ou la banane. On y trouve aussi des focus sur des pays tels que La Réunion, l’Ile Maurice, etc. Mais aussi comment cuisiner à petit prix dans la rubrique « gourmet mais fauchés » ou comment faire découvrir en douceur les gastronomies afro-caribéennes aux enfants dans « les kids ». Informer sur la santé peut donner tous les bienfaits de l’aloe vera. Des conseils, des recettes de smoothies pour éliminer les toxines après les fêtes… On y trouve des portraits de chefs, de passionnés et pleins d’autres surprises encore !
Qu’est-ce que cette qualité et cette diversité de contenu apportent ?
En explorant vraiment les cuisines afro-créoles, les aliments qui les composent, ceux qui la font, nous permettons au lecteur de se familiariser avec cette gastronomie et de ne plus avoir de préjugés. C’est aussi l’occasion pour les Africains ou les Ultramarins de mieux connaitre la cuisine de leurs voisins. Par exemple, dans mon pays – le Togo – le gombo (légume) est cuisiné en sauce tandis qu’à la Réunion, d’où est originaire Anissa Sadar, la rédactrice en chef, il est utilisé en salade.
Edito d’Anissa Sadar, la rédactrice en chef
Que diriez-vous à ceux qui voient encore la cuisine africaine comme trop riche et peu raffinée ?
Ça, c’était avant. Il faut oublier l’idée des plats gras, très pimentés, lourds. La mission de Chancel Gatsoni – coach fitness d’origine congolaise – ainsi que celle des chefs, Loïc Dablé et Elise Djoumessi, est justement de casser ces idées reçues. Toutes les recettes proposées dans le magazine sont revisitées, allégées. Pour se faire, beaucoup sont à base d’huile vierge et de coco, et non pas de friture. Il y a un dosage, un dressage et des quantités raisonnables.
Quel est l’avenir des cuisines afro-caribéennes ?
Le travail qui a été fait sur la cuisine asiatique en termes d’image et de qualité commence à s’étendre à la gastronomie afro-créole. On sort des plats de nos mamas, réalisés un peu « au feeling » et présentés dans un grand plat où chacun pioche dedans. Nous sommes dans un monde d’image où l’esthétique prime alors il faut s’adapter ; réduire les quantités, donner de la légèreté et dresser l’assiette. Ces principes se retrouvent dans la cuisine afro fusion qui demeure en plein essor. Mélanger les ingrédients, les saveurs, les recettes de tous horizons séduit de plus en plus. Lors de la Foire d’Automne de Paris, nous avons confectionné des maquis d’attieké (magnoc qui vient de Cote d’Ivoire) avec de l’avocat et du saumon ainsi que des burgers de patate douce, alliant ainsi cuisine asiatique, européenne, américaine, africaine, etc. Bien sûr, l’objectif n’est pas de dénaturer notre cuisine mais d’y apporter quelques touches de gastronomies de divers continents. Le tout avec subtilité.
Et quant au devenir d’Afrocooking, quels sont vos projets ?
Aujourd’hui, nous voudrions établir un festival Afrocooking en Afrique. Cet événement sera calqué sur ce qui a déjà été fait à la Foire de Paris et à la Foire d’automne. En plus des ateliers de cuisine, de la présence de chefs, une soirée de gala avec une remise de prix à des passionnés de cuisine, des chefs, etc. sera organisée. Sinon, cette année, nous serons présent au salon Beauty Color Africa, à Abidjan (Côte d’Ivoire) de Marina Marville (Boucles d’Ebène). Il y a aussi le salon de la gastronomie des Outre-Mer de Babette de Rozières (cuisinière star de la télévision et ambassadrice de la gastronomie créole). Ça c’est pour les événements. Après, nous avons un projet d’application Afrocooking sur portable car le mobile, c’est l’avenir ! Nous souhaiterions aussi réaliser des émissions de cuisine de quelques minutes, mais de qualité. Et surtout, faire quelque chose de différent de ce qui existe déjà sur Youtube et les réseaux sociaux. Quant aux partenariats, nous en avons un de prévu avec la compagnie aérienne ECAIR (Equatorial Congo Air Lines) qui pourrait distribuer gratuitement un de nos numéros ou bien une édition spéciale à ses passagers. Et, cette année, après la Belgique et le Luxembourg, le magazine devrait apparaitre dans les kiosques parisiens !
Marion Bordier