Des e-cours sans internet, le défi d’une start-up au Ghana

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Ils sont trois jeunes entrepreneurs à apporter la touche finale à leur projet, et pourtant leur innovation pourrait impacter des milliers de vies. Permettre aux étudiants africains d’avoir accès à des e-cours sans internet depuis un smartphone basique, c’est ce qui occupe depuis près d’un an les jours et les nuits du trio métissé de Chalkboard Education, startup française à l’avenir prometteur, implantée au Ghana.
 

C’est sur un coup de poker que s’est lancé Adrien Bouillot, le jeune fondateur de l’entreprise, pendant son master en communication à Sciences Po. Le stage qu’il fait en agence de comm ne lui plaît pas. « Alors j’ai dit à mon master « Bonjour, je ne ferai pas mon stage de fin d’études, à la place je pars au Ghana monter ma boîte ». A ma grande surprise, ils ont accepté», se souvient-il.

Arrivé à Accra, il ne connaît personne. Il part à la rencontre des universités de la ville et met au point  : « une application mobile qui permettra à tout acteur africain de faire du e-learning ou du training qui marche partout, pour tout le monde, dans tous les cas ». A ses côtés, Arlène Botokro, étudiante franco-togolaise en échange à Accra pour un an, et Miora Randriambeloma, jeune consultante en marketing, s’associent au projet à la rentrée 2015.
L’accessibilité pour tous ?
 
Leur marque de fabrique, c’est l’accessibilité, cruciale dans un pays où internet coûte cher et se fait rare hors des grandes villes. « L’appli est très simple, on n’a besoin d’une connexion que pour la télécharger et il n’y a que trois écrans différents », détaille Arlène. Une fois le programme installé sur son téléphone, l’étudiant peut alors progresser à son rythme dans tous les milieux. A mesure qu’il avance dans les cours, textes et exercices mis à sa disposition, il débloque de nouveaux éléments. Pendant ce temps, sa progression et ses réponses aux exercices sont envoyés par le réseau SMS à ses enseignants, qui peuvent avoir un suivi plus ciblé de leurs élèves.

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Présentation de Chalkboard dans une université ghanéenne. Crédits : Arlène Botokro.

« C’est peu cher et ça ne coûte pas de données », résume Miora. Il n’y a que du texte pour le moment, et si l’équipe de Chalkboard ne dirait pas non à ouvrir leur appli aux podcasts, la vidéo n’est pas au programme. « Miora a grandi à Madagascar, moi dans plusieurs pays africains, où l’accès à la technologie est difficile », rappelle Arlène. Une manière de camper sur leur philosophie : que l’appli soit accessible par tous, ce que compliquerait l’usage multimédia.
Cette accessibilité, elle est aussi économique. La startup a bon espoir de réussir dans le « social-business », où leurs concurrents directs sont encore rares dans le pays. « Notre modèle, c’est de vendre un logiciel aux universités, on les accompagne pour leur fournir un outil qui leur permet d’être plus accessibles », développe Miora depuis Impact Hub, l’espace de coworking où est installé Chalkboard. Quant aux dépenses des usagers, elles demeurent symboliques : les SMS envoyés par les étudiants ne pèsent que quelques centimes de cedi (la monnaie ghanéenne), alors qu’ils permettent un apprentissage à distance qui fait économiser de nombreux frais, de transport comme de logement. Et les partenariats qui s’annoncent avec les opérateurs mobiles laissent espérer des coûts encore plus faibles.
Un avenir prometteur
 
Le premier test, mené auprès de 70 étudiants, dépasse leurs espérances. « Au début nous étions inquiets à l’idée de leur poser la question du coût des SMS qu’ils enverraient, se souvient Arlène. Mais au contraire, ils nous ont dit qu’ils avaient tellement l’habitude d’acheter du crédit que le peu qu’ils avaient à payer était insignifiant ».
Autre bonne surprise de ce ballon d’essai, les professeurs se sont réappropriés l’appli au point de lui trouver de nouveaux usages. « Nous n’avions pas anticipé cela, nous avons constaté que le prof projetait certaines réponses des élèves aux exercices pour en débattre », évoque Miora. Pour aller plus loin, les jeunes entrepreneurs veulent s’appuyer sur les compétences des Ghanéens, amenés à rejoindre leur équipe si la mayonnaise prend. « Ils savent de quoi ils parlent, et on constate une génération qui est en train de se former », reprend-elle.

L’objectif, c’est la mise en ligne de l’appli à la rentrée 2016. Mais Chalkboard enchaîne les bons résultats aux concours de startups, lève des fonds avec brio auprès de la Banque Publique d’Investissement en France et voit plus loin. Invitée parmi les 10 startups d’Afrique les plus innovantes à la prestigieuse Oxford Africa Conference le mois dernier, la petite entreprise commence à lorgner sur les pays voisins, à commencer par la Côte d’Ivoire « où je pense qu’on fera un tour pendant l’été », annonce Adrien.

Alors qu’ils cherchent un stagiaire pour la rentrée, leur vision de l’éducation s’élargit. « On aimerait ouvrir la plateforme à des entreprises privées, aux ouvriers, aux agriculteurs ou autres personnes qui pourraient recevoir des formations dans un milieu peu connecté », ambitionne Miora. Une bonne combinaison entre des revenus plus divers, et un impact social plus fort.

Sur l'auteur

Noé Michalon

Noé Michalon est journaliste, particulièrement intéressé par les questions de politique africaine et de mixité sociale dans les sociétés occidentales. Il est actuellement en master d’études africaines à Oxford (Royaume Uni).