Harold Varango, réalisateur de la web-série “Persuasif” : “Il faut donner des rôles complexes aux Noirs”

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En novembre dernier sortait un Objet Cinématographique Non Identifié, avec la web-série Persuasif, co-produite par Arte. Rythme lent, jeux d’ombres et de couleurs, les 11 épisodes de la saga installent une atmosphère très particulière autour de Nathanaël, énigmatique personnage principal, dont le métier est de recouvrer les dettes avec, comme seule force, sa persuasion. Six mois plus tard et après un prix de la meilleure série web étrangère au Festival de Vancouver, nous avons interrogé le réalisateur Harold Varango, à l’origine du projet avec sa société de production Actes de Piraterie.

Quels sont les retours que vous font le public et les critiques pour l’instant ?

La presse ne nous a pas beaucoup couverts, et ceux qui l’ont fait en ont en général très bien parlé ! Concernant les visionnages, on atteint des chiffres assez bons pour une série non-comique, mais on pourrait faire mieux que ça. Mais les retours sont en général appréciables sur les réseaux sociaux, et pour un commentaire négatif, vingt sont positifs !

Vous revendiquez une image de banlieue loin des clichés et du rap. Quel message avez-vous voulu faire passer ?

(Rires) En général, on me renvoie systématiquement à ce message sur la banlieue, mais ce n’est pas le centre du sujet. Le but de cette série n’était pas de faire une fiction sur la banlieue, on y prête une certaine attention, mais ce n’était vraiment pas une priorité. Faut-il qu’il y ait absolument un message à faire passer ? On peut aussi vouloir transmettre des émotions. Mais je ne peux pas nier qu’il y ait quand même une réflexion sur la morale.

Pourquoi ce format court d’une websérie pour une histoire au rythme assez lent ?

Le web nous permet d’éviter le couperet du succès. On a fait deux premiers épisodes d’une première version de la série, et on savait qu’on pourrait redresser les choses ensuite si ça n’allait pas. Mais il y a aussi la question du financement. Faire des films reste assez cher, c’est compliqué de venir voir une chaîne ou d’envoyer des scénarios au CNC. Mais si ça ne tenait qu’à moi, je ferais un film de 2h et demie ! En attendant, si vous regardez la série de bout en bout, on voit à peine les changements d’épisodes et le résultat est cohérent !

Capture d'écran de la série.

Capture d’écran de la série.

Le personnage principal incarné par Blaise Ba fascine, et on retrouve également d’autres acteurs Noirs de talent dans la série. Quelle a été votre démarche dans le choix de vos acteurs ? 

Je ne fais pas de la couleur une question essentielle, on fait ce qu’on veut sur le web, il se trouvait que dans l’histoire, pas mal de personnages sont Noirs. Il n’était donc pas question de diminuer ou d’augmenter le nombre de personnages « de couleur », et la chaîne n’a eu aucun problème à accepter notre casting.

Trouvez-vous que les Noirs sont bien représentés dans le cinéma et la télé en France ?

Dans les faits, on a progressé, puisque ils ne sont plus invisibles. On a eu ensuite le problème des types de rôles qu’on leur assignait souvent, ceux de sauvageons ou de voyous… Maintenant, j’ai l’impression que le problème est ailleurs : on refuse des rôles complexes aux non-caucasiens, c’est la vraie nouvelle frontière. Comme s’il n’y avait aucun rôle intermédiaire. C’est pour cela que le perso de notre série est ainsi. Nathanaël est déroutant, ou peut l’être, il fallait qu’il ait droit à la nuance. Surtout, il est reconnu par tous les autres personnages de la série comme quelqu’un de fiable, qui fait bien son boulot. C’est le prochain niveau à atteindre : donner des rôles sérieux et complexes aux Noirs. Mais quand je pense aux Indiens et aux personnes originaires d’Asie du Sud-Est, je trouve la situation plus dure encore, ils sont vraiment enfermés dans des rôles stéréotypiques, il faut aussi qu’on parle d’eux.

 

Quelles sont vos principales inspirations en cinéma ?

Les grands cinéastes des années 60 et surtout 70 m’ont marqué : Leone, Coppola… Mais je n’ai jamais été monomaniaque : j’ai regardé des œuvres très différentes. Quand j’étais jeune, mon père, au Bénin, a acheté 150 VHS d’un coup, il voulait les projeter. Il y avait tous les styles différents. J’ai pu voir des nanars comme des trucs de classe A. J’aurais donc plein de films à citer, mais parfois pour une scène en particulier. J’ai aussi lu beaucoup de comics, ce n’est pas innocent. On retrouve cet aspect super-héros chez Nathanaël, qui jaillit de la nuit et gagne presque à chaque fois !

Plus généralement, si vous ne faites que reproduire ce que vous avez déjà vu, vous n’inventez rien. Ma démarche, c’est donc de montrer quelque chose que je ne voyais pas ailleurs.

Persuasif 2

Et la Saison 2, c’est pour bientôt ? Ou vous avez d’autres projets ?

La saison 2 est quasi-prête dans ma tête. Il faudrait que la chaîne voie ça en interne. On espère qu’ils vont apprécier le côté rafraichissant de notre série dont nous fait part notre public. On veut continuer à faire quelque chose de « never seen before ». J’ai aussi commencé à écrire une autre websérie, et j’aimerais un jour faire un long métrage, quelque chose de plus avancé. Quoi qu’il en soit, l’audiovisuel reste plein de surprises, c’est presque comme si on repartait à zéro à chaque fois, c’est ce qui me pousse à rechercher l’excellence.

 


Harold Varango en bref :

« J’ai 42 ans, je suis né à Paris, puis j’ai passé mes années 80 au Bénin. J’ai ensuite fait une fac d’histoire en France, en dilettante vers la fin, je dois encore avoir des travaux de maîtrise qui m’attendent encore ! Puis j’ai j’ai mixé dans quelques soirées dans les années 90. Progressivement, j’ai laissé les platines pour l’image. J’ai fait deux stages de montage d’une semaine, et ça m’a suffi pour que j’aie le sentiment, probablement illusoire, que j’avais atteint mon but. Entretemps, je suis devenu aide-éducateur pendant cinq ans, puis régisseur en 2007. J’ai donc pu voir comment fabriquer un film, notamment d’un point de vue technique. Du coup, avec Persuasif, j’ai lancé mon truc. »

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