Dès les premières pages, le ton est donné. « Les noirs prennent la parole », assène la une. En guise d’édito, on cite du Aimé Césaire puis on s’insurge contre l’annulation du concert de Black M. L’esprit militant n’est pas dissimulé : le journal Negus, qui a envahi les kiosques en France et en Belgique le 25 Juin pour son premier numéro, assume sa volonté de faire porter la parole et l’histoire des Noirs dans le monde francophone.
Un journal vivant
Design soigné, esthétique des illustrations, le premier contact avec le périodique est appréciable. La plume de chacun des rédacteurs, issus d’horizons différents est trempée dans une décoction de talent et d’acide. Avec des interviews fleuves du controversé panafricaniste Kémi Séba, de Booba ou du jeune publicitaire Güllit Baku, Negus donne vie à ses 56 pages et rend vivants les échanges en les retranscrivant avec authenticité et oralité. Surtout, ce sont des personnes en général assez éloignées des médias mainstream qui s’expliquent sans complexe.
Les paroles de certains dérangent ? Ce n’est pas ce qui semble troubler la rédaction du journal, bien au contraire. On brocarde le rôle des puissances occidentales en Afrique, on explore avec malaise une Afrique du Sud dans laquelle « les couleurs se touchent sans jamais se mélanger », et on prononce avec énergie les éloges funèbres d’Afeni Shakur, Papa Wemba ou Muhammad Ali. Les mots employés pour critiquer Barack Obama, « champion du projet néocolonial africain », sont violents, sinon chargés de rancœur envers celui qui a conquis le vote des minorités à deux reprises. Le journal crie non à l’autocensure, quitte à troubler. Qu’on approuve ou non le fond, on doit souligner un choix éditorial que l’on ne peut que trouver courageux à l’ère du politiquement correct.
La culture Web aux premières loges
Negus semble être un enfant d’Internet. Format classique du web, un Top 10 des raisons de refuser le franc CFA pourfend la monnaie commune à 15 pays du continent africain. A la fin de nombreux articles et chroniques, des conseils de lectures supplémentaires font office de liens hypertextes comme on en trouve sur la toile.
Le ton libre, tous azimuts, et l’insistance sur le multimédia évoquent le blog, à l’instar de la puissante tribune pour une négritude dans le cinéma français, suivie d’une liste de films. Les articles, de qualité parfois inégale, sont en général variés et touchent à tout, mais ne dévient pas de leur cap de libérer l’expression sur la condition des Noirs dans le monde.
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Il est aussi souverain de voir que Négus ne rechigne pas à mettre l’accent sur la culture, parfois reléguée aux dernières pages des grands hebdos ou quotidiens. Une bande-dessinée, Serpent Noir, présente les aventures prometteuses d’un super-héros noir. On ne cherche pas non plus à économiser du papier en présentant sur plusieurs pages les clichés du photographe Sammy Baloji. Enfin, l’hommage à Papa Wemba est rendu avec une certaine subtilité en évoquant un de ses films plutôt que sa vie mille fois racontée dans les médias mainstream.
Le piquant Négus prouve aussi son indépendance jusque dans ses étonnamment rares publicités, qui valorisent des marques promouvant les cultures afro. Enfin, un esprit de débat contradictoire, punch(line) contre punch(line), flotte dans les dernières pages, avec, à la suite de l’éloge de Muhammad Ali, le brûlot qu’avait écrit Joe Frazier contre ce dernier. Un esprit qu’on espère revoir dans les prochains numéros.
C’est donc un premier ballon d’essai plus que convaincant que ce numéro inaugural de Negus, dont le nom et la maquette restent fidèles à l’élégance, l’indépendance et la classe de Selassié l’Ethiopien, à qui le journal doit son titre. Les défauts sont plutôt dans les détails. De quoi être optimiste pour les prochains numéros, qu’on espère tout aussi explosifs et illustrés.