Pour le premier volet d’une série d’interviews d’entrepreneurs africains de la diaspora qui investissent hors d’Europe, nous avons interrogé Milain David, Congolais installé en Floride. Egérie de la toute nouvelle génération d’entrepreneurs, il se lance très tôt dans le secteur des cosmétiques, avec le lancement imminent d’une marque destinée aux populations afro, . Rencontre avec un jeune créateur façonné par de nombreuses cultures, qui nourrit de grandes ambitions.
Pour commencer, peux-tu nous présenter ton parcours ?
Je suis né en 1991, d’un père congolais et d’une mère camerounaise. J’ai grandi dans sept pays différents du fait de leur métier. Après un internat sport-études à Paris, j’ai décidé de faire mes études supérieures aux Etats-Unis, où j’ai obtenu l’an passé un diplôme en économie et finances à l’Université de Miami. J’ai ensuite réalisé plusieurs stages à Citi Bank. Ici, c’est très difficile pour des étrangers de rester plus d’un an ou deux après l’obtention d’un diplôme. J’ai jugé qu’il serait plus intéressant de prendre le risque d’investir, d’autant qu’il permet l’obtention d’un visa spécifique. Je me suis lancé dans la création d’Eben.
Comment t’est venue cette idée ?
Lors d’un séjour au Congo à Noël, il y a deux ans, j’ai constaté que les soins cosmétiques vendus à Kinshasa étaient mauvais pour la santé. Ils éclaircissent souvent la peau et contiennent des composants chimiques très néfastes. J’y ai vu une opportunité pour faire des produits pour métis et Noirs qui respectent l’épiderme sans le blanchir. Du coup, les composants que nous utilisons sont bios et 100% naturels, avec des huiles essentielles de lavande et d’abricot.
Quel est le message de ta marque ?
On a constaté que la majorité des groupes cosmétiques se focalisent sur la minorité caucasienne. En tant qu’Africain, afro-américain ou afro-caribéen, il y a trop peu d’offre destinée à nos besoins. Le marché est pourtant fragmenté, avec 80% de la population mondiale colorée et 20% de blancs ou « pâles ». J’ai donc décidé de créer une marque de référence pour les peaux de couleur, à laquelle les clients puissent s’identifier, d’abord sur la Côte Est des Etats-Unis, puis en Europe, en Afrique et dans tous les pays concernés.
Certaines marques offrent pourtant des soins pour peaux noires sans les blanchir…
Oui, il y a plein de produits sont pour les populations que je vise et énormément de compagnies rencontrent du succès. Mais celles-ci font leurs publicités en se basant sur les Blancs en général, alors qu’ils sont censés s’adresser à tout le monde. Il existe aussi des marques similaires à la mienne, qui s’adressent aux peaux mates, mais elles représentent une fraction infime sur le marché. A Eben, on emploie des mannequins métis ou noirs et on a un design très soigné, qui montre une population afro en phase avec la modernité, connectée, sans utiliser les habituelles couleurs flashy qu’on nous attribue parfois à tort. Un jeune camerounais qui vit toute sa vie à Paris aura des goûts proches d’un Français caucasien du même âge et sera séduit par notre style.
Où en est le lancement de la marque ?
Après 10 mois de Recherche et Développement, on a obtenu des produits finis : une lotion, une crème pour visage et une autre pour le corps. Financée sur fonds propres, cette phase test coûte cher, donc nous avons lancé une campagne de crowdfunding pour financer la production initiale, avoir une bonne exposition marketing et un premier contact avec des consommateurs.
Un petit échantillon d’habitants de Miami a testé notre gamme, et pour le moment les réactions sont très bonnes, les gens aiment le packaging. Nos couleurs, blanc et vert, évoquent la pureté et le naturel, et plaisent beaucoup. Quant au produit, il est apprécié, notamment au niveau du toucher. On nous suggère d’élargir notre offre, mais pour se lancer on commence par la lotion et les deux crèmes, essentiels, complémentaires et vendus à des prix moyens, entre 13 et 20$.
Le blanchissement de la peau est-il courant aux Etats-Unis ?
Certes, on se souvient de Michael Jackson, mais malgré toutes les tensions raciales, les gens sont fiers de leur peau et n’essaient pas de la transformer. Le problème n’est pas celui du blanchiment, il s’agit surtout d’un complexe : la télé nous montre que le succès est accessible aux gens clairs de peau. Hollywood a assimilé la beauté avec un certain type de visage, caucasien.
C’est facile d’investir aux Etats-Unis ?
Beaucoup plus facile qu’en Europe ! Si j’ai décidé de rester aux Etats-Unis et non de rentrer à Paris après mes études, c’est que le climat des affaires est beaucoup plus attrayant, on ne sent pas jugé par la société, en tant que Noir africain congolais. Je sens que si je me donne à 100%, je peux réussir, que tout est possible.
Tu vois beaucoup d’immigrés issus d’Afrique francophone ?
Oui, quelques uns, notamment pendant l’université. Tous sont plus ou moins sur la même longueur d’ondes : rester aux Etats-Unis pour construire quelque chose sur le moyen-terme, puis rentrer en Afrique pour mettre à contribution leur expérience.
De manière générale, j’observe un changement de mentalités. Les Africains des générations passées qui avaient la chance d’étudier en Europe voulaient réaliser les rêves de leurs parents en devenant docteurs, avocats ou en se lançant dans la finance. Maintenant, ils essayent de s’émanciper de cette vision pour vivre leurs propres rêves et créer quelque chose eux-mêmes. C’est comme ça que l’Afrique va réussir et générer de la richesse. On n’a rien perdre.
Et pour toi, comment s’annonce l’avenir ?
Dans l’avenir proche, si notre campagne de crowfunding aboutit, on peut compter sur un lancement de la marque mi-août. La commercialisation se fera d’abord sur internet, notre site web est en construction et nous passerons aussi par Amazon. Puis on visera les magasins, et quand on aura des résultats, on approchera la grande distribution.
Ensuite, je me vois à 100% retourner au Congo ! La situation politique y est encore très tendue, donc pour le moment je veux vivre cette aventure d’entreprenariat aux Etats-Unis pour absorber le plus d’expérience possible. J’espère créer la plus belle marque possible, réaliser un beau marketing, m’imposer sur le marché, puis retourner au pays pour mettre à contribution mes acquis. Ensuite, je réinvestirai les revenus dans d’autres activités tout en rendant la marque plus accessible sur le continent, avec la création d’usines sur place.
Plus d’informations sur www.ebennaturals.com