3è partie de notre dossier au coeur de la communauté afro-brésilienne
Enquête de Marion Bordier
1. Condomblé, Moqueca et Capoeira : au cœur du lifestyle afro-brésilien
2. Brésil : Quand l’héritage africain constitue une menace
3. Mais d’où vient donc le problème de racisme envers les brésiliens noirs ?
4. Quand la discrimination positive s’installe au Brésil
Au Brésil, le racisme ne date pas d’hier. En 1950, Moacir Barbosa Nascimento, surnommé l’Express de la victoire, est le gardien de but lors de la Coupe du monde de football. La finale oppose les Brésiliens aux Uruguayens. À la 79 ème minute, alors que le score est d’1 partout, l’adversaire Alcides Ghiggia déborde. Barbosa pense qu’il va centrer et quitte sa ligne de but. Mais Ghiggia fait un centre-tir qui trompe le gardien. Comme en 2014, le Brésil dit alors au revoir à « sa » Coupe du monde. Moacir Barbosa est accusé d’être le principal coupable de la défaite du pays. Etre considéré comme le meilleur au monde dans son domaine. Remporter lechampionnat sud-américain des clubs de champions de football en 1948. Gagner quatre ans plus tard la Copa América. Tous ces exploits n’y changeront rien. Sa couleur de peau faisant de lui le coupable idéal, toute sa vie il payera. En 1994, on lui interdit l’accès au camp d’entrainement de la Seleçao à Teresopolis puis le commentaire d’un match. Il s’indigne : « au Brésil, la peine maximale pour un crime est de 30 ans. Moi, je paie depuis plus de 43 ans pour un crime que je n’ai pas commis ».
A l’origine de ce genre d’inégalités ? Les trois siècles d’esclavage. Mais pas que. Son abolition tardive – en 1888 – qui fait du Brésil la dernière nation du continent américain à l’avoir décrétée. Et le fait que le Brésil ait reçu le plus d’esclaves noirs (5,5 millions soit 40 % du total). L’intégration et l’égalisation des minorités n’en ont été que retardées. « Soucieux de glorifier un passé ne devant rien aux Portugais, le Brésil exalte dans un premier temps l’Indien, le maître originel de la terre. Cela est sans danger pour l’ordre esclavagiste », explique Richard Marin, professeur d’histoire et spécialiste reconnu du Brésil. Quant au Noir, il est mis à l’écart. L’écrivain abolitionniste Ruy Barbosa de Oliveira autorise même, en 1890, en tant que ministre des finances, la destruction de la majeure partie des archives liées à l’esclavage.
Ce dernier aboli, les anciens captifs sont livrés à eux-mêmes. Alors qu’aux Etats-Unis, le président Lincoln ouvre 4 000 écoles pour les esclaves, le Brésil n’en crée aucune. « Sans terre, sans éducation, coupé de toute structure sociale, le Noir libre fut condamné à la misère », souligne Alain Rouquié dans Le Brésil au XXIème siècle. « L’abolition tant attendue enracine l’inégalité » ajoute-t-il.
Pour beaucoup, l’héritage africain constitue une menace pour la « brasilianité ». Raimundo Nina Rodrigus alerte sur la menace de l’apparente soumission nègre. Et ce à cause du lourd poids démographique de la population d’origine africaine comparé à celui de celle européenne (candomblés). Les intellectuels ne pouvaient concevoir l’identité nationale que selon le modèle de la culture occidentale – blanche, éduquée, raffinée. D’après un recensement rendu public fin 2011 par l’Institut national de statistiques, les Brancos (« Blancs ») représentent, pour la première fois depuis la fin du XIXe siècle, moins de la moitié de la population. 50,7 % des Afro brésiliens se déclarent Preto (« Noir », 7,6 %) ou Pardo (« Métis », 43,1 %). Soit 5,4 % de plus qu’en 2000.
Marion Bordier