Sylvia Serbin: « Les femmes africaines portent leur continent à bout de bras depuis des générations » [Interview]

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    journée de la femme organisée par Ecair

    Equatorial Congo Airlines, la compagnie aérienne nationale du Congo, organise pour la première fois, à Brazzaville, une exposition photo dédiée aux femmes africaines d’exception qui se sont illustrées dans divers domaines. A travers cette exposition, ECAir souhaite mettre la lumière sur ces héroïnes et reines célèbres qui ont marqué l’histoire du continent et contribué à son rayonnement à l’international. L’exposition photo sera accessible, pendant le mois de mars, à tout le publique brazzavillois et aux passagers qui transiteront par le second terminal de l’aéroport Maya-Maya qui vient d’être mis en service.

    Pour ce très beau projet, la compagnie aérienne a fait appel à une consultante de choix en la présence de Sylvia Serbin.

    Journaliste et historienne afro-antillaise, Sylvia Serbin s’est partagée entre l’Afrique où elle née et a vécu une trentaine d’années, et Paris où se sont déroulées ses études et une partie de sa carrière professionnelle. Auteur de ‘’Reines d’Afrique et héroïnes » elle a également rédigé une contribution pour l’encyclopédie «Histoire générale de l’Afrique», publiée par l’Unesco. Nous l’avons interrogé.

    Reines-dAfrique sylvia serbin

    Madame Sylvia Serbin, quelle a été votre réaction quand Ecair a évoqué ce projet exceptionnel avec vous? Quel est l’intérêt d’un tel événement?

    Sylvia Serbin: La compagnie ECAIR mérite d’être citée en exemple car cette initiative est une première dans le monde. Vous savez, on ne compte plus le nombre de pays qui aujourd’hui valorisent les actions d’envergure menées par les femmes dans leur société ou dans leur histoire, alors que c’était inimaginable il y a quelques années. Sur le continent par contre, nous semblons presque inaudibles sur la visibilité des femmes dans notre histoire. Avec cette exposition, ECAIR montre la voie. Et je dois même dire que ce projet reflète aussi sa vocation panafricaine puisque la Directrice générale a tenu à ce qu’on évoque les femmes de toute l’Afrique, du Nord au Sud, et pas seulement celles d’Afrique centrale ou du Congo.

    En tant qu’historienne, j’ai été très touchée de voir qu’une grande entreprise africaine pouvait être sensible à la nécessité d’offrir des repères fondamentaux à nos jeunes générations. Ces reines du 17e au 19e siècle, ces amazones, cette femme d’affaire du 19e siècle, ces combattantes des guérillas de libération nationale ou ces militantes de la lutte contre l’apartheid, que présente l’exposition, ce sont les ancêtres des jeunes Africain(e)s d’aujourd’hui. Et elles pourraient tout aussi bien leur servir de modèles que ces héros occidentaux, imaginaires ou non, popularisés par les livres, les feuilletons ou les bandes dessinées, et auxquels nos enfants s’identifient si facilement. En découvrant les exploits ou les sacrifices de ces femmes, ce que nous montre aussi l’exposition c’est que les valeurs de courage et de dignité sont universelles, et ne sont pas l’apanage d’une civilisation en particulier ou des hommes seulement. Et en faisant le lien entre passé et présent, on se rend compte qu’il y a une continuité entre l’audace et le courage de ces femmes d’exception d’hier et la volonté des jeunes filles d’aujourd’hui qui réussissent des études difficiles, s’imposent par leurs talents et accèdent à des métiers qu’on pensait réservés aux hommes. On le voit très bien à travers l’exemple de ces femmes pilotes de ligne, que ECAIR a voulu mettre en lumière dans l’exposition.

    Vous êtes l’auteur du livre « Reine d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire », quelles sont les qualités communes à celles qui ont fait la fierté de la gent féminine noire?

    Sylvia Serbin: Dans mon livre je présente 22 portraits de femmes qui ont vécu de l’antiquité au début du 20e siècle ; dans l’exposition on traite d’une quarantaine de personnages. Ce qu’il en ressort, c’est que les femmes africaines se sont toujours investies dans les combats de leur société, à leur manière, même dans la vie quotidienne, et de façon multiforme, et ça on ne le montre pas assez ; on ne le dit pas assez. Quand il faut se battre, elles se battent ; quand il faut résister contre l’adversité, elles résistent. Elles portent le continent à bout de bras depuis tant de générations ! Il est temps qu’on leur témoigne notre reconnaissance et qu’on leur rende hommage. Et cette réactivité féminine, on la trouve aussi chez bien des femmes noires de la diaspora, dont les ancêtres ont dû apprendre à survivre dans des environnements hostiles et inconnus, après leur déportation en esclavage par la traite négrière. Aujourd’hui, que ce soit la femme cultivatrice, la marchande de quartier, l’ingénieure, le médecin, l’institutrice, la couturière, la mère de famille, elles relèvent des défis au quotidien et, par leurs contributions diverses, elles font partie des atouts de notre continent.

    SERBIN Sylvia_0055 - janv 2014

    Vous êtes une Antillaise, ayant grandi au Sénégal et vivant actuellement en France. Quel message avez-vous envie d’adresser aux petites filles d’origines africaines parfois en manque de repères?

    Sylvia Serbin : D’origine martiniquaise effectivement, mais je n’ai pas vraiment vécu aux Antilles. Je suis née et j’ai grandi au Sénégal, et après mes études supérieures en France, j’ai longtemps vécu en Côte d’Ivoire. J’ai eu aussi la chance, grâce à ma vie professionnelle comme journaliste, puis en entreprise, avant de revenir à ma formation d’historienne, de voyager à travers le continent. Ce que je continue à faire quand c’est possible. Et c’est à travers ces voyages que j’ai découvert que dans bien des pays, de nombreuses traditions orales perpétuaient le souvenir des grandes femmes du passé, alors qu’aucun livre d’histoire n’en parle. Dans mon enfance sénégalaise, les vieux parents nous parlaient beaucoup des grands royaumes africains de l’époque précoloniale et des femmes qui y ont joué un rôle. Mais quand j’étais étudiante en histoire à Paris et que je posais à mes professeurs la question de l’absence des femmes dans la restitution de l’histoire africaine, on me répondait que les femmes citées dans les traditions orales étaient des mythes ! J’ai voulu prouver le contraire avec mon livre, mais il m’a fallu plus de dix ans de recherches pour reconstituer la vie de certains personnages.

    Tout ça pour dire aux jeunes filles d’aujourd’hui, comme je le dis à ma fille de 24 ans, doctorante dans la recherche médicale, que c’est à elles d’écrire leur histoire, de valoriser leur parcours. Quand elles ont le sentiment de faire un parcours d’exception, elles restent souvent cachées, en retrait, contrairement aux occidentales qui se font interviewer, font connaître leurs réussites ou leurs travaux de recherche dans les journaux de leur pays, sur les réseaux sociaux, etc. Par exemple, pour l’exposition, on a eu beaucoup de mal à des trouver des informations ou des photos sur certaines femmes contemporaines dont nous pourrions être fiers. Il faut que ça change. Car dans 50 ans, des médias occidentaux continueront d’affirmer péremptoirement qu’il n’y a jamais eu de femmes pilotes en Afrique ! Et nos descendants, les petits Africains de demain, le croiront ! Vous voyez, on en revient à cette histoire de « mythe » !

    Enfin, pour conclure, je veux vraiment saluer l’action d’Ecair pour cette démarche éminemment pédagogique d’aller à la rencontre de notre patrimoine historique. A travers cette exposition, le message est de dire aux jeunes filles d’aujourd’hui : « Voyez toutes ces femmes, elles ont osé ! Alors n’hésitez pas ! Foncez là où vous sentez votre chemin. » J’espère donc que le public viendra nombreux s’inspirer de cette belle exposition qui, en diffusant des images si dynamiques de femmes africaines, éclaire de façon originale la Journée internationale de la Femme.

    NB:

    Le vernissage de l’exposition-photo aura lieu le 8 Mars 2014 à Brazzaville, à partir de 13h30, dans le nouveau module de l’aéroport Maya-Maya

    « Reines d’Afrique et héroînes de la Diaspora noire » par Sylvia Serbin

     

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