Sophie Élizéon : « À formation égale, les ultramarins sont sous-représentés dans les postes d’encadrement »

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 Sophie Elizéon est déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’Outre-mer depuis 2012. Une femme de conviction désireuse de faire rayonner les ultramarins d’Hexagone.

Quelles inégalités combattez-vous au sein de la délégation ?

Toutes les inégalités que pourraient subir les Ultramarins en Hexagone. Ce qui ressort le plus concerne l’accès au logement et au crédit bancaire. Et de manière plus insidieuse et moins visible, l’accès à l’emploi et au développement de carrière. Il y a aussi des inégalités de visibilité dans la sphère publique : dans les médias par exemple…

Concernant les voyages de “retour” vers l’Outre-mer, la question du prix du billet d’avion est très complexe à détricoter. On a pensé un temps que l’ouverture à la concurrence allait réguler vers le bas le prix des billets mais ce n’est pas le cas. Pour la continuité de l’Outre-mer vers l’Hexagone, il y a des aides de l’État qui viennent pallier les difficultés. Mais ce ne sera jamais l’équivalent du prix d’un billet de train. Je pense qu’il faut une concertation avec toutes les compagnies aériennes et une réelle visibilité de la constitution des prix des billets. Leur coût est presque doublé par les taxes… Lesquelles servent, entre autres, à rémunérer les consulaires qui exploitent les aéroports situés dans ces territoires, et à rémunérer des salariés ultramarins. Donc on touche là aussi à l’emploi. C’est une question très difficile à travailler. Les originaires des Outre-mer sont des citoyens comme les Corréziens et les Creusois : ils doivent pouvoir rendre visite à leur famille aussi souvent que nécessaire et à un prix raisonnable. Aujourd’hui ce n’est pas le cas.

Les jeunes sont particulièrement concernés par ce problème. Combien sont-ils en Hexagone ?

A mon arrivée, ma première préoccupation était de réaliser un état des lieux sur leur présence ici, ce qui n’avait jamais été fait. Ce ne sont pas des statistiques ethniques, sinon il faudrait m’expliquer de quelle ethnie on parle… Je parle de statistiques à partir du lieu de naissance. Qu’on puisse compter combien de personnes habitant l’ Hexagone sont nées dans un département d’Outre-Mer. En 2008/2010, selon l’INSEE, un quart des ultramarins vivaient dans l’Hexagone. Pour les jeunes adultes ils sont 40% (108000 Réunionnais, 11700 Martiniquais, 115400 Guadeloupéens, 24400 Guyanais, 12700 Mahorais). Les étudiants sont au total 22832 (7338 Réunionnais, 7079 Martiniquais, 2231 Guyanais, 6184 Guadeloupéens), la plupart en Ile-de-France.

Sont-ils victimes de discriminations ?

Il y a un phénomène de sélectivité du marché qui ne retient que les personnes employables. Ce qui fait que les autres ultramarins, ceux qui n’ont pas le niveau requis ou l’expérience demandée, passent leur temps à faire la navette entre ici et là-bas à la recherche de leur solution d’insertion professionnelle. Pour les jeunes diplômés, le taux d’emploi est légèrement supérieur aux autres jeunes diplômés qui résident en Hexagone. Mais la seconde donnée est qu’à formation égale, ils sont sous-représentés dans les postes d’encadrement. Pour autant, il y a très peu de saisines du Défenseur des droits sur ces questions. Il y en a sur l’accès au logement ou au crédit bancaire mais quasi aucune sur l’emploi ou le développement de carrière. Soit les personnes sont mal informées, et ne savent pas à qui s’adresser lorsqu’elles s’estiment victimes de ce genre de discrimination, soit elles ont intégré le stéréotype du «diplôme soleil», et se disent «ce n’était pas fait pour moi». Il y a un vrai enjeu d’information sur les discriminations.

« Grâce à ses Outre-mer la France peut travailler 24 heures sur 24. D’où la question primordiale de l’efficacité des connexions internet. »

Beaucoup de jeunes ultramarins quittent leur département d’origine pour les études…

Les voyages forment la jeunesse. L’histoire du BUMIDOM est venue entacher la question de la mobilité dans les Outre-mer. Mais je crois sincèrement que lorsqu’on vient d’un petit territoire, il faut en sortir à un moment donné, voir autre chose… Pas toujours facile, mais c’est essentiel. Il est important d’ailleurs que ce soit mieux préparé. Certains ne sont jamais partis de chez eux, ont toujours vécu chez papa et maman. Si on prépare la mobilité il n’y a pas de raison que ça se passe mal. De la même façon que le retour se prépare.

Comment inciter les jeunes diplômés à revenir ?

Il n’y a pas forcément de mesures qui amèneront à revenir ceux qui ne le désirent pas. Mais cela peut être intéressant de rouler sa bosse ailleurs avant de revenir sur son territoire d’origine. Je salue l’initiative du Conseil Régional de la Martinique et son appel à candidature aux jeunes qui souhaitent retourner créer de l’activité dans leur département d’origine, bien conscient que la Martinique sera en 2020 le département le plus vieux de France. Ils ont pris les devants. D’autres dispositifs, par exemple à La Réunion, créent du lien. C’est un vrai enjeu. Nous travaillons avec un certain nombre de réseaux de chefs d’entreprise implantés ici ou là-bas : Outre-Mer Network, BBU, LERECA… Oui, nous avons des candidats au retour, et des offres d’emploi qui peuvent être pourvues. Mais on s’aperçoit que lorsque les gens sont originaires des territoires, on ne va pas avoir le même type d’accompagnement à l’installation. Par exemple, un non-originaire sera aidé dans sa recherche de logement, pas un natif…sous prétexte qu’il ira dans sa famille. Ce n’est pas tolérable. Il y a aussi un travail à faire pour les entreprises sur la façon d’attirer ces personnes.

sophie elizeon

Le développement des DOM passe par le numérique. Pourtant il n’est pas au niveau de celui de l’Hexagone…

C’est un problème lié à la réalité géographique et l’environnement des Outre-mer. Faire passer un câble sous un océan représente un surcoût important. C’est un handicap supplémentaire car je pense que le numérique est un outil essentiel pour le développement des Outre-mer. Permettre à un ultramarin qui passe un entretien ou un concours en visioconférence avec une qualité égale au vis-à-vis, c’est vraiment travailler l’égalité des chances. Aujourd’hui, en fonction des territoires il y a des choses qui sont possibles et d’autres qui le sont moins. Mais par exemple, la délégation met en place un forum pro jeunesse depuis 2013. Et en 2014 nous avons fait des visioconférences avec les DOM, ça montre bien qu’on peut faire des choses. Grâce à ses Outre-mer la France peut travailler H24. D’où la question primordiale de l’efficacité des connexions internet.

Sophie Élizeon aux Français de l’Hexagone: « Regardez l’Outre-mer comme des territoires français à part entière »

Une chose dont vous êtes particulièrement fière ?

L’état des lieux et le fait d’avoir embarqué avec nous tout le champ des entrepreneurs qui sont assez satisfaits, parce que jusqu’à présent ils avaient l’impression d’être un peu oubliés. Grâce à eux peut-être allons-nous arrêter de dire que les Outre-mer coûtent cher, comme on l’entend continuellement…mais plutôt qu’ils sont une richesse pour la France parce qu’ils ont un dynamisme économique.

Pourquoi avoir postulé à ce poste de déléguée interministérielle ?

Je ne reste pas très longtemps sur les postes que j’occupe. Trois ans c’est mon temps, cinq ans ça commence à être long et au-delà, je ne peux pas. Donc ça faisait trois ans que j’étais aux droits des femmes et j’ai commencé à regarder autour ce qu’il y avait et il est vrai que pour avoir le même niveau ou plus de responsabilités, en restant à La Réunion c’était compliqué. Et puis j’ai mis deux ans à trouver ce poste qu’un ami m’a signalé. Après avoir pesé le pour et le contre, j’ai postulé. Et mon enthousiasme l’a emporté.

Des regrets ?

En règle générale, lorsque je prends une décision je ne me demande pas comment cela aurait été si je ne l’avais pas prise. Par contre il y a des moments où j’aimerais bien que les choses avancent un peu plus vite. Je me rends compte que j’étais enthousiasmée par le niveau d’intervention national mais les choses avancent moins vite qu’au niveau régional.

 

Que diriez-vous aux Français qui ne connaissent pas ou mal les ultramarins ?

Les ultramarins sont partout y compris là où on ne les attend pas, mais ce n’est pas dangereux… Nos territoires ne sont ni des gouffres à subventions ni des lieux de villégiature où l’on va se poser sur une plage. Je leur dis : regardez-nous comme des territoires français à part entière, qui ont la même activité que vous au quotidien, avec des gens qui travaillent, font des recherches, écrivent, peignent… des gens normaux, quoi !

Propos recueillis par Yohann Charpentier-Tity

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Sur l'auteur

Yohann Charpentier-Tity

Mi Martiniquais, mi Guadeloupéen. Français d’Outre-Mer, Antillais, Caribéen… De Fort-de-France à Paris, de mon île au continent. 23 ans à porter fièrement mon patrimoine, ma culture.